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Ethnicité : une construction mentale pour diviser

Écrit par sur 5 mars 2021

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Le peuple camerounais a une histoire commune, et même des origines communes. Mais les enseignements instaurés depuis longtemps tendent à renforcer dans leur pensée l’idée selon laquelle il est composé de plusieurs ethnies, question de le maintenir divisé

 

Le vivre ensemble est l’un des slogans les plus utilisés dans le discours politique au Cameroun depuis une dizaine d’années, en réponse à la montée dans l’expression courante au sein de la population de la haine basée sur les origines ethniques. Une ethnie étant une population humaine qui considère avoir en commun une ascendance, une histoire, une culture, une langue ou un dialecte, un mode de vie ; bien souvent plusieurs de ces éléments à la fois. L’appartenance à une ethnie ou ethnicité est donc liée à un patrimoine culturel commun que ce soit la tradition, les coutumes, le rôle social, l’origine géographique, l’idéologie, la philosophie, la religion, la cuisine, l’habillement, la musique ou autres. D’après l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, un organisme français, le Cameroun compte près de 250 groupes ethniques différents. Les mêmes sources vont plus loin pour expliquer que les 250 groupes ethniques estimés du Cameroun forment six grands apparentements ethniques. Les Bantous, répartis dans les sous-groupes Douala, Bassa, Bakundu, Bantou du Mbam, Log Mpo’o, Beti Yaoundé, Beti Sanaga, Bulu- Fang et Maka-Kozime ; les Semi-bantou composées des Tikar, Bamoun, Bamiléké, Widekum, Kaka, Baya ; les Soudano-sahélien ; les Bornouans Haoussa ; les Foulbés Bororo et les Arabes. De manière plus schématique, le Cameroun est aujourd’hui subdivisé en 4 grandes aires culturelles, suivant certains critères dont le mode vestimentaire : les Sawa qui sont sur la côte atlantique, les Grassfields qui intègrent l’intérieur Ouest, les Soudano-sahélien dans la partie septentrionale et les Fang-Beti qui balaient la forêt centre-sud-Est. En rentrant dans l’histoire on remarquera que le Cameroun comme beaucoup d’autres pays a été occupé grâce aux mouvements migratoires.

Unité détournée

Il faut déjà remarquer que ce qui est connu de l’histoire des peuples Camerounais jusqu’ici, est ce qui a été enseigné par d’autres. En d’autres termes, ce sont les étrangers, comme ceux de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, qui sont venus apprendre aux Camerounais quelle est leur histoire, ils ont décidé de les catégoriser, de trouver à l’issue de leurs « recherches » les différences, qui les ont aidé à les classifier ensuite, le but ultime étant de les diviser. A-t-on déjà posé la question de savoir comment le Cameroun fait pour avoir 250 ethnies, d’où est sorti ce chiffre qui a été consigné dans les documents et qui est enseigné de générations en générations ? La technique des impérialistes a toujours été de modifier le mode de pensée des autres pour les faire croire ce qu’ils veulent et mieux les contrôler. Prenons l’exemple du peuple Duala. Dans un article intitulé « Migration circulaire, tourisme de racines et développement local, le cas des migrants duala de France », Esoh Elamé, Docteur en Géographie et Enseignant-chercheur à Venise en Italie, nous rappelle que les Duala proviennent d’Afrique équatoriale et vraisemblablement de la région congolaise. Leur migration de la région congolaise les a conduits d’abord dans la vallée de la Sanaga, ensuite dans l’arrière-pays côtier camerounais, plus exactement vers la façade maritime de l’estuaire du Wouri, en repoussant à l’intérieur des terres les Bassa et les Bakoko. Ces derniers, avant le XVIIe siècle, occupaient déjà l’espace qui s’appellera plus tard Douala, en souvenir de Ewalè Mbèdi l’ancêtre éponyme des Duala, qu’ils ont accueillis bien avant l’arrivée des Allemands. Spécialisés dans la pêche, activité qu’ils considèrent noble, les Duala vont développer des échanges importants avec d’autres peuples. Plusieurs études ne manquent d’ailleurs pas de souligner que c’est auprès des Bassa et des Bakoko que les femmes duala acquièrent la connaissance de certaines techniques culturales notamment pour le manioc, l’igname et le maïs. Le peuple duala est segmentaire et s’est construit à travers un processus de conventions lignagères. Dès la génération des petits enfants de l’ancêtre fondateur, les séparations issues de l’affrontement entre aînés et cadets provoquent des conflits qui conduisent à la création de quatre clans, chacun désigné par une appellation où figure le terme bona (qui signifie « les fils de, les descendants de, les gens de ») plus le nom de l’ancêtre fondateur. Les quatre clans duala appelés aussi « cantons » sont issus d’une première séparation au début du XIXe siècle des descendants de l’ancêtre fondateur, et d’une deuxième séparation vers les dernières décennies du même siècle. Il s’agit des Bona Njô (dits Bell) et Bona Bèlè Bèlè (dits Bonabèri), les Bona Kuo (dits Akwa) et le Bona Ebelè (dits Deido). Chaque clan s’est à son tour décomposé en segments suivant une filiation patrilignage accédant ainsi à une autonomie sous contrôle.

Pensée formatée

De cet exemple, on retient que ceux qui s’entredéchirent aujourd’hui à Douala sont les fils d’un même ancêtre. Dans le pays tout entier, les multiples chefferies qui existent aujourd’hui ont été fondées par les descendants d’une famille, qui décidaient de se séparer de leurs frères suite à un désaccord, une contestation de l’héritage ou une excommunication. Presque tous les villages de la zone Grassfield ont été fondés par le même processus, et aucune cérémonie sérieuse ne peut se faire dans un village sans la présence du chef du village parent, même si dans la réalité les fils des deux villages ne parlent pas la même langue ou appartiennent administrativement à des départements ou régions différents.

On peut également remarquer que les critères de langue, mode de vie, origine géographique, religion, cuisine, ou l’habillement que les impérialistes ont utilisé pour catégoriser les ethnies, sont essentiellement subjectifs et changeants. Chacun peut s’habiller et manger à son goût, se convertir et se reconvertir à la religion de son choix, sans que cela ne modifie fondamentalement l’être humain qu’il est. Les différences des ethnies au Cameroun ne sont en réalité que des constructions mentales faites à dessein, et malheureusement perpétuées par un système éducatif néocolonialiste. De même que dans une famille, chaque enfant peut décider avec le temps de ne s’identifier qu’avec le nom de sa mère, et ainsi la division s’installera, de même chaque enfant peut décider de ne s’identifier qu’avec le nom de l’ancêtre et la grande famille restera unie. De la même façon, les Camerounais peuvent aujourd’hui se décider de considérer qu’ils sont descendants des mêmes ancêtres et se mettre ensemble autour d’une seule identité, de même qu’ils peuvent choisir de renforcer le fossé, et dans ce cas le discours du vivre ensemble ne changera rien. Le jour où les Camerounais arriveront à déconstruire dans leur mental les clivages ethniques, l’unité suivra, et le discours tribaliste sera derrière nous…

Roland TSAPI

 

 


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