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Paul Eric Kingue : le combat de la décentralisation

Écrit par sur 25 mars 2021

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 Il avait fait du développement local son cheval de bataille, et s’est investi toute sa vie pour que les élus locaux aient les mains libres pour l’implémenter, la mort l’a cueilli en plein vol

«Réveillez-vous messieurs les maires, les préfets ne sont pas vos patrons. D’où vient-il que, alors que les compétences sont complètement transférées en matière d’éducation de base, qu’on en soit encore à ridiculiser un maire, au point de l’amener à se renier lui-même ? Les actes du préfet, visiblement illégaux, peuvent être annulés par le tribunal administratif, et cette liberté que vous avez à faire annuler un acte du préfet, même le simple citoyen l’a. Chers collègues du RDPC, réveillez-vous ! Permettez finalement à ce pays d’être un pays de décentralisation ! Que ces gens-là cessent de nous infantiliser, nous sommes des élus. Il faut que la décentralisation soit respectée dans ce pays. Et pour qu’elle soit respectée, chers collègues maires, bougez-vous un tout petit peu. Je sais que vous n’avez pas de couilles, pour ceux qui sont en majorité du RDPC. Dites aux préfets que vous n’êtes pas leurs administrés. Vous êtes des chefs des exécutifs. Il y a un chef de l’exécutif national, et vous êtes des chefs des exécutifs locaux.» Paul Eric Kingue s’adressait ainsi, début mars 2021 aux maires des communes d’arrondissement du Cameroun à travers une vidéo diffusée sur la page Facebook de la commune de Njombe Penja, dont il était le chef de l’Exécutif. Il marquait ainsi sa solidarité au maire de la commune d’arrondissement de Douala 1er, qui dans la cadre de la prévention du coronavirus, avait suspendu les cours dans les écoles maternelles de sa commune, ce qui lui avait valu des réactions presqu’humiliantes du préfet du Wouri et du délégué régional du ministère de l’Education de base pour le Littoral. Cette marque de solidarité de Paul Eric Kingué confirmant ainsi, s’il en était encore besoin, sa détermination à faire un saut qualitatif dans la mise en application de la décentralisation, en créant définitivement une rupture avec la conception coloniale de l’administration pour établir une nouvelle base des relations entre elle et les communes.

Navette de pénitencier

Né le 26 août 1966, l’ancien étudiant de l’université de Yaoundé, où il était déjà très actif dans les mouvements associatifs, rejoint très tôt les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti avec lequel il se présente aux élections municipales de 2007 à la commune de Njombé Penja. Devenu maire à l’issue du scrutin, il imprime rapidement sa marque. Les terres de la commune sont exploitées par des vastes plantations industrielles florissantes et prospères, mais les populations croupissent dans la misère, les caisses de la commune sont vides. Il ordonne un audit des redevances fiscales pour savoir ce qui devait être payé par ces multinationales à la commune, et apprend que chaque année, 2 milliards 750 millions de francs cfa devraient entrer dans les caisses, ce qui n’est pas le cas. Il décide alors de tracer ces fonds et savoir où ils vont, surtout que les sociétés implantées sur place affirment décaisser ces montants chaque année. Il ouvrait ainsi un front avec l’administration locale et la hiérarchie politique sans le savoir. Très vite, il rentre dans le collimateur, et les émeutes de la faim de février 2008 donnent le prétexte à la machine politico judiciaire de se débarrasser de lui à la tête de la commune. Il est interpellé chez lui le 29 février 2008 par une escouade militaire sans mandat et détenu à la prison de Nkongsamba, avant d’être transféré à la prison de New Bell à Douala, où il est condamné à six ans de prison ferme en janvier 2009, pour pillage en bande et destruction, et à dix ans, le 14 janvier 2011, pour détournement de 1 million 400 000 F CFA des caisses de la mairie. Après 8 ans de prison, il est finalement libéré en 2016, et créé un an plus tard, le 4 juin 2017, un parti politique, le Mouvement patriotique pour un nouveau Cameroun (MPCN) avec pour devise « le Cameroun d’abord. » Avec cet appareil politique, il noue un partenariat avec le Mouvement pour la renaissance du Cameroun de Maurice Kamto lors des élections présidentielles de 2018, et dirige la campagne de ce dernier. En janvier 2019, il est interpellé à Yaoundé, soupçonné d’être de mèche avec Maurice Kamto que l’on accuse d’activité insurrectionnelle, suite aux appels aux manifestations publiques pour dénoncer le holdup électoral. Il passe encore 9 mois dans les cellules de la prison principale de Kondengui à Yaoundé, et sera libéré le 4 octobre 2019 au lendemain du grand dialogue national.

Retour au combat

Il tourne dès lors la page des élections présidentielles, et se concentre désormais sur les élections locales du 9 février 2020, et remporte la mairie de Njombe Penja sous la bannière de son parti le Mpcn. Dès son installation, il reprend le combat pour les intérêts de la commune, interrompu 13 ans auparavant. Cette fois il s’attaque aux entreprises exploitant les carrières du domaine de la commune, dénonçant une fois de plus la modicité des redevances reversées à dans les caisses, comparées aux faramineux montants engrangés par les exploitants et les dégâts environnementaux laissés sur place. Là encore il trouve en face l’administration et les services déconcentrés du ministère des mines, qui lui opposent la non compétence. Mais il tient bon et leur rappelle que la décentralisation est désormais actée, il ne lui reste plus qu’à l’implémenter.

L’homme providentiel de Njombé Penja aura eu une vie pleine. Vice-Président des Communes et Villes Unies du Cameroun (CVUC) lors du dernier renouvellement du bureau de l’association, il a également lancé la télévision School Tv Africa, dédiée à l’éducation à laquelle il tenait également. Il a constamment fait preuve d’initiative, se refusant de suivre toujours les sentiers battus, qui parfois l’ont été par des personnes dont les intérêts ne cadrent plus avec ceux du moment. Pour lui, appartenir à un parti politique ne veut pas dire faire une allégeance servile au chef et s’autocensurer en permanence, même quand on voit bien que le chef se laisse aller à des dérives démocratiques. Le parti politique n’était non plus pour lui la propriété personnelle d’un tiers, mais un cadre permettant de s’exprimer, stimuler le choc des idées duquel jaillit la lumière, nécessaire pour éclairer le peuple. Fauché par la mort le 22 mars 2021, il n’aura pas, comme en 2008, porté pendant plus d’un an l’écharpe de l’élu local, encore moins mené son combat au bout. Mais au moins sa bouillonnante vie aura été riche en enseignements, et même sans l’avoir achevé, il peut bien se dire dans l’au-delà, « j’ai mené le bon combat »

Roland TSAPI

 

 


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