Opération épervier : la prison de la honte
Écrit par sur 23 mars 2021
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Les personnalités emprisonnées dans le cadre de la campagne d’assainissement de la gestion des deniers publics montrent désormais les images d’êtres humains dégradés, humiliés. La prison est devenue une machine à broyer, remettant une fois de plus au goût du jour la vanité de la vie
Dans les réseaux sociaux, des images circulent depuis le mois de mars 2021, montrant l’ancien directeur de l’Office de radio et télévision camerounaise, le professeur Gervais Mendo Ze dans un état de santé complètement dégradé. L’homme, devenu méconnaissable, a perdu du poids et peut-être l’usage de ses membres. On voit dans une courte vidéo comment il se fait aider pour adopter la position assise, et dans l’autre comment il se fait nourrir au sirop, assis sur le même lit et une perfusion accrochée à la main. Le tout puissant directeur général de la Crtv pendant 17 ans, maître chanteur d’une puissante chorale qui officiait à toutes les cérémonies officielles en bonne place, auteur de la célèbre chanson « Assimba » qui était à l’époque jouée à la fréquence d’un générique à la radio et la télévision d’Etat, le professeur n’est aujourd’hui que l’ombre de lui-même. Pas possible dans cet état de santé, de bénéficier de la chaleur familiale, de la douceur des enfants, des cousines et autres nièces envers lesquels il a certainement fait preuve de beaucoup de générosité, triste fin de carrière pourrait-on dire. Et il n’est pas le seul dans ce cas. Des cris de détresse sont lancés au quotidien par d’autres anciens membres du gouvernement et directeurs des sociétés, qui se sont retrouvés dans les geôles et dont la santé ne peut que se dégrader, au vu des conditions de détention, de l’âge et de bien d’autres facteurs conjugués. Certains ont eu la chance, c’est comme cela qu’il faut le dire, d’être évacués sanitaires, d’autres ne semblent pas bénéficier de cette grâce.
Prison au rôle dévoyé
Ces images des anciens puissants devenus moins que des loques humaines, nous enseignent deux choses au moins. La première, c’est que le milieu carcéral se révèle être une machine à broyer l’humain, lentement mais sûrement. Il ne faut pas oublier que dans ces prisons, les conditions dans lesquelles apparaissent les anciens directeurs généraux et ministres sont celles réservées aux privilégiés. Les no name de la prison sont dans des conditions pires que celles-là. Si les premiers ont la chance d’avoir quelqu’un qui leur mette la soupe à la bouche, sûrement parce qu’ils ont de l’argent en réserve pour payer ces services, qu’en est-il des pauvres. Il est vrai que ces derniers peuvent être plus endurants, car il est plus facile de quitter du ghetto de la rue pour le ghetto qu’est la prison camerounaise, que de quitter du château pour y arriver, comme c’est le cas pour les puissants d’hier. Pourtant, la prison, au-delà du caractère punitif et de protection de la société contre les individus dangereux, à également pour mission de récupérer les citoyens en perdition pour les réinsérer dans la société en évitant les récidives. Franchir les portes de la prison, ne veut pas dire entrer dans le couloir de la mort, c’est en principe rentrer dans un autre environnement qui devrait à terme être bénéfique. La prison devrait être, enfin, une « bonne peine », adaptée à la fois aux exigences du droit et à la modernité des sociétés démocratiques issues de l’esprit des Lumières. Pour les Nations unis, dans le « Manuel à l’intention des directeurs de prison, la règle 58 précise que « le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins »
Vanité des vanités…
La deuxième chose à retenir de ces images venues de prison, est la condition humaine, essentiellement éphémère, qui nous renvoie au livre de l’Ecclésiaste dans la bible, dans lequel on apprend que « vanité des vanités, tout est vanité ». A des moments de la vie, l’on est tout puissant, on bénéficie de la très haute confiance du président de la république dont on se croit la créature. On roule dans la rue avec un cortège de 25 voitures, les issues sont barrées pour qu’on passe, la sécurité personnelle est assurée par un nombre incalculable d’agents, on est le patron qui impose le silence à son arrivée, qui donne des ordres. Les comptes bancaires sont multiples, les fonds des lits bourrés des caisses d’argent qui attendent, on plane en somme. Et puis un jour, tout bascule, tout s’affaisse comme un château de cartes, et l’on se retrouve seul. Comme dit Albert Camus, « il arrive que le décor s’écroule », et à ce moment l’homme fait la triste expérience de l’absurdité de la vie, qui naît d’une rupture radicale avec le quotidien. Lequel quotidien était fait d’un tissu d’habitudes, liées à un milieu et à des rôles spécifiques comme celui de patron, ministre, directeur général, professeur, d’ouvrier ou de père, qui fixe aux hommes des tâches à accomplir en même temps qu’il leur commande leurs pensées, leurs gestes, leurs comportements. La situation des puissants de la société camerounaise d’hier, aujourd’hui réduits à se faire assister comme des invalides, est un message destiné à ceux qui se considèrent puissants aujourd’hui. Aucune situation n’est éternelle. La vie n’est que le souffle d’un instant, qui ne fait que passer, aussitôt éteint : la vie humaine, la réalité du monde, tout cela, c’est du vent, les choses ne sont que de passage, dans une sempiternelle répétition. Et il faut bien se dire, Cela n’arrive pas qu’aux autres, surtout dans un contexte de pouvoir où se fabriquent des montres qui n’hésitent pas à se broyer entre eux le moment venus, ne laissant l’illusion de survie qu’à une minorité qui se croit forte pour un moment mais qui est aussi vite rattrapée par la vanité.
Roland TSAPI