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Justice : le cri de désespoir de la Cour suprême

Écrit par sur 2 mars 2021

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Le Premier président de la Cour suprême a emboité le pas aux critiques pour dénoncer les tares qui minent la justice camerounaise, avec en bonne place les lenteurs judiciaires et les interférences politiques

 

« Une justice qui dure est une injustice. » C’est entre autres, des mots martelés le 25 février 2021 par le Premier président de la cour suprême du Cameroun Daniel Mekobe Sone, à l’occasion de la rentrée solennelle de la justice pour l’année 2021. D’après lui, « l’activité judiciaire a généralement trois phases. Le déroulement du procès, le dénouement du procès, et l’exécution de la décision. C’est incontestablement la dernière phase qui est la plus importante. Tout d’abord pour les plaideurs intéressés uniquement par le résultat effectif de leur procédure, ensuite pour le crédit de la justice qui serait édulcoré s’il y a défaillance dans l’exécution des décisions rendues. » Pour cette année 2021, la plus haute personnalité judiciaire du pays a en effet choisi de pointer du doigt l’une des tares de la justice camerounaise, qui perdure du fait des hommes. Il accuse par exemple les avocats de multiplier des subterfuges pour bloquer l’exécution des décisions de justice rendues définitives, parfois juste pour faire durer la procédure et augmenter les honoraires et sous fond de corruption. Des exemples foisonnent dans la société camerounaise, où des justiciables trainent pendant des années des grosses obtenues à l’issue d’un procès qui leur a été à priori favorable …

Défaillances du système

Mais même si le Premier président de la Cour suprême semble pointer du doigt les avocats et faire d’eux des boucs émissaires, la réalité est qu’il fait plutôt le procès du système judiciaire avec tout l’arsenal juridique. Si l’avocat peut bloquer l’exécution d’une décision de justice, c’est justement parce que les textes lui donnent cette possibilité, sa requête s’appuie toujours sur une disposition légale existante, sinon elle ne pouvait être recevable et produire des effets suspensifs de l‘exécution d’une décision. C’est ce que relève par exemple Alexandre Dieudonné Tjouen dans l’article intitulé « l’exécution des décisions de justice en droit camerounais »  publié dans la Revue internationale de droit comparé en 2000. L’auteur dégage dans cet article ce qu’il appelle de « graves errements et des lacunes dans les textes qui rendent floues les notions de « pourvoi d’ordre », une notion distincte et propre au droit camerounais, dans sa coexistence avec le pourvoi principal en cassation et le pourvoi dans l’intérêt de la loi. Sans entrer dans les méandres et les subtilités du droit réservées  aux spécialistes, l’on constate simplement que le fin mot de l’histoire c’est qu’un justiciable camerounais peut obtenir une décision de justice et ne jamais la voir exécuter.

Et aux subtilités du droit s’ajoutent aussi les interférences politiques. Dans son propos le 25 février, Daniel Mekobe Sone a fait allusion à une lettre circulaire signée il y a un an, le 2 mars 2020 par le ministre de Domaines, du cadastre et des affaires foncières, qui subordonne l’exécution d’une décision de justice dans les affaires foncières à l’appréciation du ministre. Le ministre qui adressait la lettre circulaire aux responsables des services déconcentrés de son département écrivait en effet « en vue de prévenir les menaces de perturbation de l’ordre public, dans le cadre de l’exécution des décisions et prescriptions juridictionnelles en matière foncière et domaniale, il m’a paru indiqué de vous prescrire de transmettre systématiquement au ministre, pour vérification préalable de l’authenticité des actes y afférents et sur leur caractère définitif et immédiatement exécutoire, des décisions de justice dont vous êtes saisis pour exécution et portant sur le sursis à exécution d’un acte administratif, la mutation des titres fonciers par décès, la radiation d’une hypothèque, l’annulation d’un titre foncier, la résolution d’une vente notariée, la rectification d’un titre foncier par adjonction ou substitution de noms, ou par extraction de parcelle, l’annulation judiciaire d’un arrêté ministériel, la condamnation d’un propriétaire d’immeuble pour faux, la sortie d’indivision ou le partage d’immeuble. » Ainsi donc dans le cas des affaires foncières au Cameroun, depuis un an, toute décision du tribunal, au lieu d’être exécutée immédiatement, doit encore entrer dans les couloirs sinueux du ministère des Domaines pour chercher à trouver grâce. Dans un pays où la justice est dite indépendante.

Renvois sine die

Avant la phase de l’exécution des décisions de justice sur laquelle s’est attardé le Premier président de la Cour suprême, la justice qui dure l’est aussi à la phase du déroulement du procès. A ce niveau en réalité elle ne dure pas seulement, elle s’éternise au Cameroun, et toutes les couches sociales en sont victimes. Les prisons camerounaises sont bondées, remplies au deux tiers par des justiciables en attente de jugement, pendant des années, sans même être sûrs que leurs affaires soient appelées un jour. Le 26 octobre 2020, au cours de la réunion annuelle des chefs des cours d’appel et des délégués régionaux de l’administration pénitentiaire, le problème de la surpopulation dans les prisons était le principal point à l’ordre du jour, et le ministre de la Justice a une fois de plus relevé que l’une des principales causes de ce phénomène est la lenteur judiciaire. Un des cas non moins célèbre au Cameroun, c’est celui d’Amadou Vamoulké, l’ancien directeur de la Cameroon radio and télévision,  détenu depuis 2016 à la prison centrale de Yaoundé Kondengui, présenté déjà plus de 50 fois devant le juge sans qu’un motif soit retenu contre lui, bientôt 5 ans sans jugement donc. Et il n’est pas le seul.  Comme l’a rappelé Daniel Mekobe Sone, en citant Pascal, « la force sans la justice est tyrannique ; la justice sans la force est impuissante. Il faut donc que ce qui est juste soit fort et ce qui est fort soit juste ».

Roland TSAPI

 

 

 

 


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