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Cyclisme : la mort programmée  

Écrit par sur 13 mai 2021

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Le décès par accident du coach national de cyclisme dans un véhicule qui ne paye pas de mine, a met à nue la misérable condition dans laquelle se trouvent les autres disciplines sportives au Cameroun

 

Le milieu sportif camerounais a été frappé le 10 mai 2021 en fin d’après-midi, par le choc du décès de Dieudonné Ntep, l’entraîneur de l’équipe nationale de cyclisme. Le drame est survenu à la suite d’un accident de la circulation, une collision entre le véhicule qui transportait le défunt et trois autres personnes et un camion sur la route nationale numéro 3, entre Yaoundé et Douala. D’après  le communicateur de la fédération camerounaise de cyclisme, c’est le président de la Fédération, à bord d’une autre voiture, qui va découvrir le drame. Tous faisaient partie de la délégation camerounaise qui se rendait au Bénin pour prendre part au tour du Benin, et devaient prendre l’avion à partir de Douala. Le mécanicien, le chauffeur et le docteur de l’équipe nationale eux aussi à bord du véhicule accidenté s’en sont tirés avec des blessures. Plus chanceux, ils ont fini le voyage à l’hôpital, alors que le coach Dieudonné Ntep, finissait à la morgue.

Négligences

Un mort de plus sur la route. Dans un récent éditorial, nous relevions le caractère accidentogène des routes nationales camerounaises, dont l’étroitesse de la chaussée constitue le premier danger pour les véhicules qui se croisent, en plus des autres aspects. Ici encore on parle de deux véhicules qui n’ont pas pu effectuer un croisement. On aurait été sur une autoroute que les deux voitures allant en sens inverse se verraient plutôt à distance. A ce niveau le drame n’est plus une surprise, c’est prévisible, pour ne pas dire programmé. Avec la mort de l’entraîneur national de cyclisme, le choc des émotions est plus provoqué par l’état du véhicule qui transportait la délégation. Un cargo d’une autre époque, qui dans un pays sérieux aurait déjà été retiré de la circulation depuis des lustres. A la vue des images de cette voiture, l’on pense d’abord à ces vieux cercueils roulants qui font le transport clandestin dans les zones rurales, dont les chauffeurs s’assurent seulement que le moteur tourne encore. Le confort intérieur n’étant pas une préoccupation, avec des sièges déchirés, tout pour indiquer que c’était une voiture bonne pour la casse. Mais c’est cette voiture qui transportait la délégation camerounaise qui allait représenter le pays à une compétition internationale de cyclisme. L’image que projette l’épave de cette voiture est simplement honteuse, et devrait dans un pays où la dignité a un sens, provoquer la démission du ministre des sports.

Il est bien connu dans les discours au Cameroun, qu’il n’y a pas de sport mineur, ni de sport majeur, ni de sport réservé. Le président Paul Biya l’a dit et répété à maintes reprises. Il a créé le ministère des sports et de l’Education physique, en prenant soin de mettre « sports » au pluriel, l’idée étant de promouvoir tous les sports sans exclusive, et veiller à ce que toutes les disciplines soient logées à la même enseigne, les acteurs traités dignement. Mais que fait ce ministère ? Pour comprendre le peu de considération accordée aux autres disciplines et en particulier au cyclisme, il n’y a qu’à faire un tour sur le site internet de ce ministère des sports et de l’éducation physique. Une  visite effectuée le 12 mai 2021 à 4h, et la dernière information datant du 10 mai 2021, parle de la visite des travaux d’achèvements du complexe sportif d’Olembé par une délégation conduite par le ministre, ce complexe qui s’achève chaque année sans jamais finir. Pas un communiqué sur le décès de Dieudonné Ntep, mort pourtant en mission, entraîneur de l’équipe nationale du Cameroun de cyclisme. Pas un mot non plus sur  cette participation de l’équipe camerounaise au Tour du Bénin, ce n’est pas d’actualité. La rubrique « compétition » est par ailleurs vide.

Opacité

Au-delà de ce peu d’importance accordée au cyclisme, il y a également lieu de se demander comment la fédération de la discipline fonctionne et quelles sont ses ressources. Là aussi l’information officielle est une denrée rare. Un ancien membre de la fédération révèle cependant « les ressources de la fédération sont de trois ordres : les ressources internes qui proviennent de l’achat des licences, qui sont très limités, les ressources qui viennent des sponsors, et là il y a une opacité terrible et même des rétro commissions, et le budget des deux courses principales, qui avoisinent 300 millions par édition, donc on est à peu près à 600 millions de francs cfa pour les 14 jours de courses si on cumule les deux éditions. Parfois il y a aussi les redevances du passage du tour du Gabon, qui sont des ressources connues, et on peut également dire que le détournement des primes des athlètes fait aussi partie des sources de la fédération, en plus de la subvention annuelle qui avoisine les 8 millions. Mais en ce qui concerne le patrimoine de la fédération, on n’a jamais fait une évaluation, parce que ce mot est inconnu là-bas, les rapports financiers on ne connaît pas. » Comment ces fonds sont gérés, mystère et boule de gomme. Avec tout cela on est incapable d’acquérir un véhicule digne pour le déplacement des athlètes, on est incapable de payer un billet d’avion Yaoundé  Douala pour le déplacement de la délégation qui va représenter le pays à une compétition internationale. A l’annonce du décès de Dieudonné Ntep, le journaliste David Eyengué, qui suit particulièrement cette discipline, s’est indigné en ces termes : « Inqualifiable !  Ils n’ont pas découragé certains avec leurs pratiques,  maintenant ce sont les plus fidèles qui s’en vont à cause de leurs égoïsmes. Comment peut-on mettre des êtres humains dans une telle voiture pour une mission fédérale ? N’est-ce pas la même voiture qui avait retardé l’arrivée des vélos à l’aéroport pour un voyage au Maroc ? Quand je pense que l’équipe du Rwanda a rallié Yaoundé par cette voiture, partant de l’aéroport de Douala, mon Dieu ! Voilà une légende qui est partie. Je crois qu’au-delà de la mort programmée du cyclisme dont ils ont la mission, ils sont déjà dans des pratiques de sorcellerie. » Dieudonné Ntep n’est pas mort, il a été tué par la conjugaison des négligences, des corruptions et du clientélisme qui ont fait leurs nids dans les fédérations sportives camerounaises. Son départ tragique montre une fois de plus que dans certains domaines, le Cameroun ne se contente plus seulement d’être au fond du trou, il continue de creuser.

Roland TSAPI

 


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