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Crise Anglophone : Christian Tumi et le fédéralisme.

Écrit par sur 2 décembre 2020

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Cette forme de l’Etat est préconisée avec instance par le Cardinal, lui-même originaire du Nord-Ouest en crise. Et du haut de ses 90 ans il doit savoir de quoi il parle. Mais comme beaucoup d’autres, il semble prêcher dans le désert.

Comment sortir de la crise anglophone ? Le Cardinal Christian Tumi, l’une des autorités morale du pays les plus influentes, et surtout concerné au premier point du fait de son appartenance à l’une des régions en crise, n’a cessé de proposer le retour au fédéralisme depuis le début des conflits armés. « Je ne sais pas pourquoi les francophones pensent que le fédéralisme c’est la division du pays », a-t-il encore  réitéré le 02 décembre 2020 sur les antennes de Radio France internationale. Le 16 novembre 2020, s’exprimant sur les mêmes antennes après avoir été brièvement kidnappé 10 jours plus tôt, il affirmait «  ils voulaient savoir quelle était mon opinion sur la forme du gouvernement du pays, je leur ai dit : c’est le fédéralisme » En juin 2019, il avait tenté de réunir les anglophones autour d’un point commun pour dialoguer avec le pouvoir. Dans cette logique, il avait fait une sorte de sondage au sein de la communauté anglophone, qu’il expliquait au magazine jeune Afrique plus tard  « La conférence n’est pas un but en soi. Ce que nous voulons, c’est informer les Camerounais de ce qui se passe dans les régions anglophones. Nous pensons que beaucoup l’ignorent, y compris le président Paul Biya. Et puisque les anglophones se plaignent, nous avons décidé de leur donner la parole, à travers une consultation qui a été le plus large possible pour qu’ils nous disent ce qu’ils veulent et ce qu’ils proposent comme solution… Une sorte de questionnaire, parce qu’il faut identifier les causes de la crise pour trouver un remède au mal. Par exemple: « Entre le fédéralisme et l’État unitaire, quelle forme de gouvernement serait, selon vous, susceptible de nous aider à sortir de cette situation? » Sachez que le fédéralisme a été plébiscité un millier de fois, tandis que l’État unitaire, même décentralisé comme le gouvernement est en train de le mettre en place, n’a reçu que quatre réponses positives – pas une de plus. »

Comme à l’origine

Bref rappel historique, le fédéralisme proposé par l’homme de Dieu ne sort pas de nulle part. Le Cameroun est parti d’une grande nation sous la domination Allemande depuis 1884, à deux entités distinctes placées sous la tutelle de la Société des Nations, ancêtre de l’Organisation des Nations Unis. Cet organisme divisa le pays en deux et demanda à la France de regarder une partie et à la Grande Bretagne l’autre. Un peu comme un commissariat qui récupère un champ dont le propriétaire est désormais incapable de s’en occuper, le divise en deux et le confie à deux policiers. Par derrière les habitants du champ décident de ne plus tenir compte de bornes implantées par le commissariat, et de se mettre ensemble. Sauf qu’entre temps les habitants d’une partie se rendent compte que les autres profitent seul des récoltes du champ, et imposent même leurs habitudes partout. Ils décident donc qu’on retourne à l’état initial, mais les autres devenus plus forts ne veulent plus rien entendre, et disent qu’on ne parle pas de ça. Il en est ainsi des deux Cameroun, qui se sont mis ensemble pour créer un état fédéral en 1961. Mais en 1972 le Cameroun francophone a tué la fédération et instauré un état unitaire à l’issue d’un référendum biaisé dès le départ par la loi du nombre des populations francophones. Le poste de vice-président qui était réservé aux anglophones dans la Constitution fédérale a également été effacé, malgré les protestions. Avant cela, tous les partis politiques des anglophones avaient été absorbés dans un parti unique dirigé par un francophone.

Source de querelle

L’économiste Dieudonné Essomba explique aussi la crise anglophone en ces termes simplifiés : « Puisque la sécession anglophone tire sa légitimité de la suppression de la fédération, la première chose à faire est justement de lui enlever cette légitimité en rentrant dans l’Etat fédéral. C’est un simple problème de bon sens : si ton petit frère te donne son téléphone, puis commence à faire des querelles pour rentrer en possession, remets-lui d’abord ce téléphone, il ne faut pas le confisquer sous le prétexte qu’il est agressif de nature. Remets-lui le téléphone, et s’il continue la querelle alors on saura que son problème n’est pas le téléphone. C’est la même chose avec les anglophones : remettez-leur d’abord la souveraineté qu’ils partageaient avec les francophones sous le modèle d’un Etat fédéral. De cette manière, vous allez enlever l’argument historique sur lequel ils s’appuient, à savoir que vous leur avez volé leur souveraineté. » Le fédéralisme fait donc bien partie de l’histoire du Cameroun et des formes de l’Etat déjà connues. Si toutes les thérapies appliquées jusqu’ici n’ont pas fait taire les armes dans les régions anglophones, pourquoi ne pas essayer cette autre solution à laquelle tient l’homme de Dieu, et en connaissance de cause ?

Faux fuyant

En face certains pourfendeurs de l’Etat unitaire soutiennent que la Constitution indique que le Cameroun est un Etat unitaire décentralisé. Soit, mais parlant de constitution, pourquoi donner l’impression qu’elle est intouchable, alors que la Constitution fédérale a bien été touchée pour supprimer le poste de vice-président, et qu’elle continue de l’être au gré des intérêts privés ? En 1996 une autre version de la Constitution a été adoptée, qui limitait les mandats présidentiels à deux. Mais en 2008 elle a bien été touchée, rendant les mandats désormais illimités. D’autres pourfendeurs disent que le fédéralisme c’est du passé. Oui mais qui a dit qu’il ne fallait pas retourner à son passé quand il est nécessaire ? Pourquoi retourner à son passé et prendre la potion de grand-mère quand on est menacé par le corona virus, et refuser de retourner à ce même passé et adopter le fédéralisme si ça peut sauver des vies ?  A bien y regarder, les décoctions de grand-mère sont au corona virus ce que le fédéralisme est à la crise anglophone. Au juste, qu’est-ce qu’on perd à l’essayer si ça peut sauver des vies, surtout quand l’homme de Dieu le recommande ?

Roland TSAPI

 


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